Les monnaies locales, une réponse à la crise ?
publié le 08 août 2012 à 13:05
Par Sophie Bartczak
Créer de la monnaie n'est pas seulement un privilège réservé aux banques.
Environ 4 000 communes dans le monde ont franchi le pas avec succès.
"Muse" d'Angers, "Luciole" d'Ardèche, "Bogue" d'Aubenas... Ces noms poétiques fleurissent aux quatre coins de la France sur de nouveaux billets fraîchement créés par les citoyens eux-mêmes. Et les Français semblent bien décidés à rattraper leur retard : près de trente monnaies locales circulent aujourd'hui sur le territoire, alors qu'elles n'existaient pas il y a seulement trois ans. Dans le reste du monde, on constate le même phénomène : en Allemagne, une soixantaine de communes vivent aux rythmes des monnaies locales ; au Brésil, grâce aux "palmas", certains habitants des favelas font désormais leurs courses dans leur quartier, favorisant l'emploi local et le pouvoir d'achat ; à Ithaca, une petite ville dans l'État de New York, "l'Ithaca Hours" sévit depuis presque 20 ans auprès de 1 500 boutiques et entreprises, brassant l'équivalent de 2 millions de dollars en vase clos. Au total, dans le monde, une cinquantaine de pays y auraient recours.
Stabilité économique
Le phénomène n'est pas tout à fait nouveau... Au Moyen Âge, les monnaies locales étaient courantes : un évêque, un seigneur ou même une ville pouvaient alors "battre monnaie". Plus récemment, à partir de la crise de 1929, elles sont réapparues en Allemagne, en Autriche, et même en France à Lignières-en-Berry, avec un certain succès puisqu'elles permirent la relance de l'économie locale et une diminution du chômage. Inquiètes face à leur succès, les banques firent pression sur les États pour les interdire ! Toutes sauf une : le WIR. Depuis 1934, elle est la monnaie suisse locale échangée par 60 000 entreprises, soit près de 20 % de l'économie du pays ! D'après Bernard Lietaer, ex-directeur de la Banque centrale de Belgique, cette exception suisse de double monnaie participe à la stabilité et à la robustesse économique du pays. En cas de crise, les entreprises échangent plus de WIR et sont moins affectées par les diminutions des crédits.
Plus de sens
Alors, plan B face à un euro fragile, pied de nez aux banques jugées amorales, les monnaies complémentaires locales seraient-elles la réponse à la crise financière ? Oui, mais pas seulement, explique Philippe Derudder, auteur du guide Les monnaies locales complémentaires : pourquoi, comment ? (éd. Yves Michel). Selon lui, la démarche sous-entend une vraie philosophie. "Une monnaie locale complémentaire est émise par les citoyens eux-mêmes pour redonner sur leur territoire l'humanité et le sens que la monnaie conventionnelle n'incarne plus." L'objectif est de remettre l'argent à sa juste place, à savoir un simple moyen d'échange. Alors qu'une majorité des flux financiers sont absorbés par la spéculation, les monnaies locales visent à investir 100 % des montants dans l'économie réelle en redonnant du sens à l'argent pour relocaliser les échanges, favoriser l'emploi et créer du lien.
Plus de richesses
Photo d'illustration © Becus / La Dépêche du Midi
Plus de richesses
Les monnaies complémentaires ne concurrencent pas l'euro et se limitent à un territoire précis. Ainsi, si vous êtes à Romans, c'est en "Mesures" que vous pourrez régler vos achats. Pour ce faire, rendez-vous dans l'un des six comptoirs d'échange (Biocoop, marchand de chaussures...). Contre 50 euros par exemple - qui seront placés dans des projets éthiques et solidaires - il vous sera remis 50 "Mesures" en billets. Vous pourrez alors les dépenser chez l'un des 60 commerçants adhérents (coiffeur, alimentation, théâtre, restaurants, etc.), tous engagés dans une démarche écologique et citoyenne. Attention, si vous n'utilisez pas les "Mesures" dans les trois mois, elles perdront 2 % de leur valeur. Car c'est le propre des monnaies complémentaires d'être "fondantes", ce qui favorise leur circulation. "Plus une monnaie circule, plus elle crée de richesses, constate Philippe Derudder. L'argent traditionnellement déposé en banque est utilisé pour des placements souvent éloignés de l'économie locale, voire de l'économie réelle." Pour éviter une fuite de la monnaie, il n'est pas possible au consommateur de changer ses "Mesures" en euros. Seul le commerçant le peut, moyennant une commission de 2 %. Une somme qu'il accepte facilement, puisque cela lui apporte une nouvelle clientèle. Pour certains, l'apport est mineur et représentera 2 ou 3 % de chiffre d'affaires en plus ; pour d'autres, c'est une véritable aubaine, comme cet artisan de Villeneuve-sur-Lot qui a vu son activité doubler depuis qu'il vend de la farine en monnaie "Abeilles". Les boulangers de la région, qui utilisaient des farines venant parfois de l'autre bout de la France, ont vu là un bon moyen d'utiliser la monnaie locale récoltée auprès de leurs clients. Pour répondre aux nouvelles commandes, l'artisan a dû embaucher. La boucle est bouclée : emploi, économies d'énergie liées au transport, lien social, création de valeurs... Si certains jugent encore les bénéfices trop minces parce que marginaux, d'autres, de plus en plus nombreux, sont conquis et font le pari que la monnaie peut être un outil de réconciliation. De doux rêveurs ? L'avenir le dira.
Page originale : http://www.lepoint.fr/economie/les-monnaies-locales-une-reponse-a-la-crise-08-08-2012-1494094_28.ph